LA BUÉE

Depuis quelques mois, « je monte à la capitale » comme on disait par chez nous, plusieurs fois par semaine.

Transhumance professionnelle…

Au début, caprice de solitaire indépendant, je prenais ma voiture.

Je me retrouvais inévitablement bloqué dans un bouchon, dans le troupeau, au milieu de ces moutons à roues, dont finalement je finissais par faire partie …

Alors j’ai pris le train, il y en a souvent, la gare est proche, le trajet n’est jamais très long.

Et je peux en profiter pour faire de la marche, musique dans les oreilles, je revisite mes morceaux favoris.

Ce matin là j’arrivais sur le quai avec les Beatles en plein Magical Mistery tour…

Les gouttes étaient fraiches, le vent était froid, l’hiver reprenait ses quartiers à l’été.

Je monte dans la bétaillère pour me mettre au chaud, pas de chance, c’est heure de pointe, train bondé…

Mes congénères, habitués du créneau horaire, se sont engouffrés, décidés à gagner dans un silence hargneux le jeu quotidien des chaises musicales.

Je rentre, je reste débout mais en musique.

Coup d’œil circulaire, tout le monde assis, le regard figé, fixé sur rien. Je tourne le mien sur le paysage qui défile.

Paul McCartney me chantonne l’histoire de cet homme qui vivait sur la colline que la société jugeait fou, je ne peux m’empêcher de l’accompagner.

Ma voix assourdie se cogne contre la vitre.

Les paroles s’envolent la buée reste.

Reflexe infantile, un doigt glisse et dessine un visage naïf et souriant, je me recule et admire mon œuvre de gosse avec le même sourire niais sur mon visage.

Quelques visages désolés me regardent, j’ai du faire un truc interdit ou profondément anti social…

Une petite fille regarde le dessin et sourit à son tour.

Coup d’œil circulaire à nouveau. C’est bien ça, ils sont tous morts à l’intérieur là dedans. Ils ont perdu leur âme d’enfant.

Quand à moi il serait temps que j’évolue.

Je n’arrive toujours pas à dessiner correctement les yeux…